TUX cie créative
  • RokhayaDiallo
  • JEDI

”On vit ensemble, c’est pour ça qu’il est important de se voir ensemble”

  • #JUSTICE
  • #ÉQUITÉ
  • #DIVERSITÉ
  • #INCLUSION

Le 4 avril dernier, le studio de TUX Creative House lançait la première édition de Remous avec la projection du documentaire ''Où sont les Noirs?'' de Rokhaya Diallo. Parce qu'on en est ressorti grandi.e.s, nous vous partageons 5 enseignements tirés de l’événement.

Sarah Patier
Lead, Engagements éco-responsables


Ce soir-là, je regarde autour de moi. On est combien? 70 personnes peut-être? Toutes réunies dans les studios de TUX Creative House sur la Plaza St-Hubert. Je remarque parmi elles différents âges, différents genres. Surtout, pour la première fois en quinze ans de carrière dans l’industrie publicitaire, dont la moitié passée à Paris et l’autre ici, à Montréal, je remarque un auditoire dont la composition ethnoculturelle ressemble à celle de la ville dans laquelle je vis.

Comprendre : jusque-là, lors d’événements professionnels, j’ai quasiment toujours été l’une des rares personnes participantes non blanches.

Pour les gens qui prétendent ne pas voir les couleurs, c’est peut-être un détail; mais pour les autres, on sait combien le symbole est fort, tout particulièrement dans notre milieu. Au Québec, le monde de la pub est formé à 90 % de personnes blanches*, alors que de son côté, l’île de Montréal compte 39 % d’habitant.e.s qui s’identifiaient comme membres d’une ”minorité visible” lors du dernier recensement de 2021.

C’est justement parce que les barrières à l’entrée de notre industrie sont encore trop grandes que nous avons créé Remous.

L’objectif de cette série d’événements est de briser l’isolement, d’encourager les rencontres et de provoquer des conversations qui bousculent les mentalités et nous font cheminer.

Chez TUX, comme nous espérons que ce type d’exceptions devienne la norme dans notre industrie et ailleurs, nous passons en mode open source et partageons 5 bonnes pratiques tirées de la première édition de Remous. Voici donc un modeste résumé de ce que la projection du documentaire ”Où sont les Noirs?” de Rokhaya Diallo nous a appris, ainsi que les échanges entre nos panélistes montréalais.e.s : Alliah Fafin, Ayana O’Shun, Eric Idriss-Kanago et Stéphanie Germain.


1. Laisser la place aux autres et à leurs histoires

Pour cette première édition de Remous, nous avons choisi d’aborder un sujet récurrent tant à l’interne qu’avec les marques avec lesquelles nous travaillons : la représentation à l’écran des communautés marginalisées.

Puisque les mieux placées pour en parler sont les personnes concernées, nous avons choisi de diffuser le documentaire ”Où sont les Noirs?” de la célèbre Rokhaya Diallo; cette intellectuelle, journaliste, éditorialiste et réalisatrice française noire devenue incontournable. À travers une succession d’entrevues de professionnel.le.s du cinéma en France, noir.e.s pour la plupart, Rokhaya Diallo nous invite à explorer la façon dont ces communautés sont encore trop souvent représentées à travers des rôles caricaturaux (prostituée, panthère / femme à la sexualité débridée, personnel d’entretien, trafiquant de drogue), quand elles ne sont pas tout simplement absentes de l’écran.

Le public comprend surtout que, dans l’Hexagone, un peu plus de 150 ans après l’abolition de l’esclavage, et 46 ans après que Djibouti devienne la dernière colonie française en Afrique à arracher son indépendance, le poids de l’Histoire coloniale, impérialiste et esclavagiste pèse encore sur les acteur.rice.s noir.e.s.

Aujourd’hui, même si Omar Sy n’est plus seul en scène, rejoint notamment par Ahmed Sylla ou Fadily Camara depuis peu, la liste des acteur.rice.s noir.e.s et connu.e.s demeure assez courte.

Côté réalisation, les talents français issus de communautés noires reçoivent enfin une reconnaissance et une médiatisation, qui étaient jusque-là rarissimes. Depuis 2019, il y a ainsi eu Ladj Ly avec ”Les Misérables” et Mati Diop avec ”Atlantique”, deux films récompensés à Cannes la même année; Maïmouna Doucouré, qui a fait voyager ”Mignonnes”, avec des distinctions à Sundance, à Berlin et aux Césars, avant une diffusion sur Netflix; Alice Diop qui, avec ”Saint Omer”, a été récompensée à Venise pour ensuite représenter la France aux Oscars; ou encore Ramata Toulaye-Sy, qui montait en mai dernier les marches de Cannes afin de présenter « Banel et Adama ». Si ces artistes sont de plus en plus nombreux.ses sous les projecteurs, on les présente toujours de la même manière: comme des parcours exceptionnels.

Good to know, me direz-vous en bon français. Mais après tout, on est au Québec icitte. Alors, pourquoi avons-nous consacré une soirée entière à un documentaire sur la représentation des noir.e.s en France?


2. Tourner le regard vers l’autre pour mieux réfléchir sur soi

Malgré des avancées majeures et une plus grande facilité à Montréal que dans d’autres endroits du monde, parler de questions raciales en 2023 reste épineux. Comment aborder le sujet, sous quel angle, avec quels termes et avec qui? Entre le risque de perpétuer des stéréotypes et celui de froisser les groupes dominants, on peut vite avoir le sentiment de marcher sur des œufs.

Afin de faciliter la réflexion critique, nous avons décidé de recourir à un procédé justement utilisé à foison au cinéma : parler de ce qui existe chez les autres pour mieux réfléchir sur soi.

C’est la raison pour laquelle TUX, une entreprise créative d’ici, a convié des artistes noir.e.s d’ici afin de les entendre réagir à un documentaire sur le cinéma français. C’est ainsi que pendant plus d’une heure, les réalisatrices Alliah Fafin (”Amani”, 2021) et Ayana O’Shun (”Le Mythe de la femme noire”, 2023**), le producteur Eric Iriss-Kanago, fondateur de Yzanakio et cofondateur Black on Black Films, ainsi que Coalition Média*** ont répondu aux questions de l’animatrice et médiatrice culturelle Stéphanie Germain.

 

Résultat? Sur de nombreux points, la situation en France et au Québec est malheureusement similaire :

– Des deux côtés de l’Atlantique, les noir.e.s sont enfermé.e.s dans les mêmes stéréotypes. C’est ce que révèle ”Le Mythe de la femme noire”, long-métrage documentaire sorti en janvier dernier et réalisé par Ayana O’Shun, qui démontre comment, dans la Belle Province, l’image de la femme noire hypersexualisée, de la nounou (forcément grosse et maternante), ou de la femme noire en colère hante les rôles proposés aux actrices noires***.

– Aujourd’hui, ici comme en France, la plupart des noir.e.s qui travaillent dans le milieu du cinéma racontent que, au moins une fois dans leur vie, on les a dissuadé.e.s de se lancer dans ce domaine, sous prétexte que ni leur profil ni leurs histoires n’intéresseraient le grand public.

Alliah Fafin a ainsi partagé sa propre expérience dans notre studio. Produire son court-métrage, ”Amani”, lui a demandé de nombreuses années de labeur, tant ses demandes de subventions allaient de refus en refus.

La raison évoquée par les bailleurs de fonds provinciaux? ''Amani'' ne trouverait jamais d’écho au Québec. Pourtant, entre 2021 et 2022, le film d’Alliah Fafin a été primé à 5 reprises, dont 4 fois au Canada : à Montréal, en Alberta et en Ontario, notamment dans la catégorie du meilleur court canadien au Festival de Kingston. ''La clé, c’est la persévérance'', confirme Ayana O’Shun.

– Partout, les noir.e.s sont sous-représenté.e.s à l’écran (on a fait le test live : difficile de citer de mémoire plus de trois acteur.rice.s noir.e.s de France ou du Québec).

– En raison de leur rare présence à l’écran, les artistes noir.e.s ressentent une immense pression : l’erreur ne leur est pas permise.

''Laissez-nous le droit de nous tromper, de faire de mauvais films. Et qu’on puisse recommencer, se tromper encore'', demande Eric Idriss-Kanago.

Alliah Fafin abonde en son sens: ''Il faut qu’au Québec, on nous laisse la possibilité de faire nos premières expériences pour prouver ce qu’on est capable de faire. Il faut faire confiance [aux communautés issues de la] diversité.''

– Parce qu’il est encore nécessaire de le rappeler, et nos invité.e.s l’ont exprimé clairement : pas besoin d’être noir.e pour se reconnaître dans un personnage noir ou une histoire écrite par une personne noire.

Un film ''qui touche la grâce'', pour reprendre les mots d’Eric Idriss-Kanago, c’est une œuvre qui ''arrive à montrer le plus petit dénominateur commun qui relie un.e Autochtone du Québec, un.e noir.e d’Afrique Centrale et une personne blanche de Montréal : leur humanité, peu importe [si ces gens] élèvent leurs enfants différemment, mangent des choses différentes ou parlent une langue différente''.

– Enfin, le manque de représentation nuit à toutes les communautés qui grandissent et évoluent sans se voir dans la culture populaire, ou en ne s’y retrouvant que sous une forme caricaturale. ”On vit ensemble, c’est pour ça qu’il est important de se voir ensemble”, rappelle Rokhaya Diallo. Eric Idriss-Kanago va encore plus loin : ”le fait de se reconnaître dans les images projetées à l’écran, c’est presque aussi important que de boire ou de manger”.

À l’inverse, effacer une partie de la population de nos écrans revient à la rayer de notre imaginaire collectif, à la confiner en marge de nos représentations mentales. C’est nier son droit d’exister et de participer à la société.


3. Briser la bulle de notre industrie, pour vrai

Évidemment, les équipes de TUX ont convié leurs client.e.s actuel.le.s et passé.e.s à la première édition de Remous. Mais afin de donner un petit coup de pouce au destin, et pour s’assurer que le public allait être autant que possible à l’image de sa métropole; elles ont également invité des personnes issues des communautés noires de Montréal et ne travaillant pas en agence de publicité. C’est ainsi que des membres d’organismes communautaires, des étudiant.e.s au CÉGEP, des leaders d’opinion, des artistes, des intellectuel.le.s, ou encore des responsables de la diversité, de l’équité et de l’inclusion d’institutions publiques nous ont fait le plaisir de se joindre à nous.
Notre objectif pour les prochaines éditions : créer toujours plus de rencontres et de brassage d’idées.


4. Reconnaître la valeur de l’activisme

Nous croyons que sensibiliser le monde de la publicité constitue un travail à part entière. C’est notamment grâce à ce travail que nous pouvons prendre conscience de l’immense pouvoir qui est entre nos mains : celui de mettre fin à des stéréotypes, de faire avancer le progrès en matière d’équité, et ainsi d’obtenir plus de justice.

C’est la raison pour laquelle nous avons pris la décision d’indemniser nos panélistes : l’évolution de notre secteur ne peut pas uniquement reposer sur leur générosité, et notre reconnaissance ne doit pas rester simplement symbolique.
Dans une même logique, les membres du comité J.E.D.I ont imaginé et préparé la soirée Remous durant leurs heures de travail rémunérées.


5. Mesurer les résultats

Parce que le cordonnier est toujours le plus mal chaussé, nous avons omis de compter le nombre de participant.e.s le soir de l’événement. Raté, donc, pour les résultats quantitatifs.
En revanche, côté qualitatif, c’est avec une grande joie que nous affirmons que moins d’un mois plus tard, l’impact de l’événement se fait déjà ressentir. La première édition de Remous a en effet permis de sortir les problématiques de représentation du cercle restreint du comité J.E.D.I pour rejoindre d’autres talents clés de TUX. Depuis le 4 avril dernier, nous avons le bonheur de voir la liste des allié.e.s s’allonger; certaines personnes affirmant même que la soirée a provoqué un véritable déclic en elles :

''Cette soirée a été un eye-opener pour moi, et je crois mieux comprendre comment les communautés peuvent se sentir devant cette sous-représentation.''

“Le film et la causerie m’ont vraiment marquée. J’espère que désormais, on se sentira tou.te.s extra motivé.e.s pour diversifier les histoires partagées dans les médias et éviter les stéréotypes.”

“Comprendre comment ces professionnel.le.s établi.e.s font face à des enjeux que l’on retrouve dans notre industrie va m’aider dans mon travail à moi.”

”J’ai réalisé à quel point ce que les personnes noires vivent faisait écho à la réalité d’autres communautés marginalisées et sous-représentées que je connais plus personnellement.”

Rendez-vous le 10 août prochain pour le deuxième volet de Remous, qui sera sous le thème de la Fierté. On vous attend!

Cet article vous a donné du FOMO? Cliquez et découvrez le balado de la soirée, réalisé par Dim Sound

Balado Remous